13th Avenue - Appartement 5B au n°1351

Une petite avenue traversant Old Town, parsemée de HLM anciens et décrépis, où s'entassent ceux qui ne veulent pas aller dans les quartiers sensibles mais qui ne peuvent aller ailleurs. La peinture est écaillée au possible et nombre de vitres sont brisées. L'atmosphère est glauque, pesante. Les gens marchent en rasant les murs, complètement assomés par le lieu. Je me demande encore comment j'ai fait pour vouloir y acheter un appart'... A côté du commissariat. Enfin, ... Le commissariat est à plusieurs centaines de mètres et noyé autour des multiples HLM et autres bâtiments. Je rentre dans le HLM', satisfait de mon petit achat qui m'a coûté presque toutes mes économies, mais j'espère que je le rentabiliserai assez vite. Dans les vieux escaliers dont le carrelage commence à bien craqueler, je rencontre la vieille du 4ème, celle qui ne dit jamais "bonjour" à personne et qui n'a d'yeux que pour sa saloperie de cabot qui fait exprès de vouloir sortir de l'appart dès que je m'endors. Saloperies d'escaliers, sont vache de haut ... Enfin j'y arrive, Cinquième Etage, Porte B, au fond du couloir, seule et solitaire. C'est mieux comme ça et même pas sûr que les voisins sachent que l'appart' est habité.

D'ailleurs, c'te putain d'appart' est minimal avec juste cuisine, piaule, tout petit salon et salle de bain. Première chose: une douche ... Ras-le-cul de cette nuit de merde. Eh y a encore un foirage d'eau chaude ! Je déteste l'eau froide, bordel ... Enfin faut faire avec. Au moins, ça me détendra les muscles et le ciboulot. Y en a marre des blacks qui viennent pourrir une soirée dans un night club, y en a marre des vieilles qui arrosent à la vodka, merde quoi, soyez civilisés, utilisez les pétoires et on en parle plus !

Bon, du coup, la douche est vite torchée et direction le lit pour quelques heures de sommeil. Quelques trop courtes heures de sommeil puisque le soleil ne va pas tarder à se pointer. Tant pis, qu'il me foute la paix. Je ferme le store et tire le tissu opaque qui me sert de rideau. J'peux enfin quitter les fringues poisseuses et les Rangers. Le revolver, comme d'habitude, sur la table de nuit. Allez, bonne nuit.

Retour au bercail. Y a pas à dire, ça fait du bien de s'poser de temps en temps. Le chien du 4ème gueule encore mais rien à foutre, ce soir, j'ai des trucs à faire du style urgent. Déjà, la douche. Expédiée en moins de dix minutes mais pour un coup, y avait de l'eau chaude. C'est bon de temps en temps. Enfin, ça c'est fait. Bordel, plus que trente minutes avant le rendez-vous. Heureusement que les docks sont pas loin. Ca me permettra de m'y rendre à pattes sans attirer l'attention. Ce s'rait le putain d'comble de m'faire attraper avec l'attirail. Enfin, le plus gênant reste le kukri.
Je nettoie le S&W. 6 balles dans le barillet. Tranquille ... Calme ... Tout se passera bien.

La vieille pendule indique 20H53

Ptêt le moment de passer quelque chose de plus qu'un calbute. Un pantalon de type sécurité ira très bien. Noir mat, pas de reflets possibles. Parfait avec les Rangers. Rangers qui ont bien l'droit à un coup de nettoyage. Pour le haut, vêtements prêts du corps sans être moulants au possible. J'me sens enfin à peu près à l'aise.

Quoique j'me sente tout nu sans flingue et c'est seulement quand vient le moment où le poids du Russian N°03 vient peser sur ma cuisse que j'me sens enfin habillé. Je passe le cuir et range le kukri et l'balisong. Comme d'hab. Bien, comme qui dirait, prêt pour se foutre sur la gueule. Ou presque. Encore une "mission" à laquelle je vais pas gagner grand chose j'pense mais bon. Faut faire avec. C'est pas comme si j'avais besoin d'un taf régulier.

J'me pose à la table et sors ma petite bouteille de marsalà et comme s'il s'agissait d'un rituel, j'me mets trois verres, les uns à la suite des autres. En dégustant le breuvage, seul avec moi-même. Encore une foutue mission où j'pourrais sans doute crever bêtement. Ca m'foutrait la haine de clamser bêtement faut dire ... Et je sais pas pourquoi, tout c'que j'suis capable de faire, c'est d'prendre un papier et un stylo.

Je repose le stylo, assez content d'avoir été capable de rédiger cette première chronique. Je la mettrai au propre plus tard. J'ai au moins le départ. Ca m'évitera d'oublier toutes les saloperies que j'ai faites dans ma vie. Au moins un truc qui servira. Après tout, j'serai pas contre que quelqu'un la trouve et la lise ... Après ma mort si possible. Ce qui signifie que ce s'rait bien que c'là arrive le plus tard possible. Ouais, ce s'rait pas mal que ça arrive dans longtemps.

Le regard d'Alceo dérive et retourne vers la vieille pendule. 21h10.

Va pas tarder à être l'heure. Heureusement que j'peux arriver aux Docks en moins de cinq minutes sans me presser. J'ai juste le temps de grailler un morceau. Il me reste un plat de chili. Autant me l'envoyer vite fait. C'est lourd et consistant. Ca suffira à étancher ma putain de dalle qui m'taraude gentiment depuis que j'ai quitté c'te saloperie d'hôpital. Quelle galère ...

21H21: La porte du 1351 se verrouille et l'homme descend les escaliers d'un pas rapide. Telle une ombre, il avance sans bruit dans la rue, rasant les murs, presque invisible. Il quitte Old Town d'un pas vif et se dirige vers la Riviera.

Putain, c'est bien gentil les Docks mais c'est l'genre de trucs grands et devant lesquels j'ai pas tellement envie de m'attarder. J'espère qu'il va magner sa croûte le vioc. La nuit s'annonce aussi merdique que celle d'hier. J'le retiens le maire avec ses services à la con. Mais apparemment, ça va être sympa comme petite virée. Et naturellement, deuxième soirée à la con où j'vais pas gagner un rond. Mais pas grave, j'commence à avoir l'habitude. J'dois être le seul mercenaire sur Terre qui s'fait pas payer pour des tafs de brute. Mais bon, je suis comme ça. Taillé pour le combat. L'argent ....

Trève de plaisanterie, voila les Docks. Et comme je le pensais, je suis l'premier sur les lieux. C'est beau la conscience professionnelle.

J'ai fait quelques détours pour arriver à la 13ème. Me fallait éviter les axes fréquentés où j'aurais été susceptible de rencontrer du condé. Le trajet retour s'est plutôt bien déroulé et me voila au pied de l'immeuble. J'réfléchis à peine un instant et j'm'engouffre plutôt que j'entre dans le parking souterrain. Il a la bonne idée de proposer deux sorties et d'être sécurisé par c'te connerie de barrière automatique que j'fais fonctionner avec le "bip" de ma clé. Maintenant, c'est là où j'vais me marrer ...

Va falloir que j'grimpe 6 étages à pied car évidemment, y a jamais eu d'ascenseur dans c'te connerie d'immeuble et comme si ça suffisait pas pour m'foutre en rogne, j'me cogne la gamine à transporter. Bon, l'étalon est garé au beau milieu des autres bagnoles. Le point commun, c'est que toutes ne brillent pas par leur éclat ou leurs innovations ... Le moteur se tait, retour à l'écurie. Maintenant, faut que je sorte la gamine.

" Laisse-toi faire. "

Va vraiment falloir qu'un coup, j'me décide à devenir sociable. C'est l'simple genre de réplique qui suffirait à m'faire péter une paire de câbles. Détachage de ceinture en règle. Je sors de mon côté et vais ouvrir sa portière. Toute manière, elle a plus tellement la force de faire quelque chose. J'la soulève. Commence à devenir pénible cette affaire... C'est pas que je rechigne à l'effort mais tout de même, j'ai eu une putain de soirée bien chargée et j'aimerais bien m'poser devant un bon petit verre.

Les pensées noires me font grimper les paliers un par un avec la fille dans les bras. J'l'ai pas mise sur mon dos car c'est loin d'être le plus confortable pour elle et ça paraîtra plus naturel si jamais j'croise un voisin. Dans l'obscurité, ptêt qu'il distinguera pas la blessure à la jambe...

Et voila que tu galères petit mercenaire. Voila ce que ça rapporte de jouer les bons Samaritains. T'as le droit qu'à un taudis minable en centre-ville et à transporter une gamine sur 6 étages. Mais c'est aussi là que tu bénis l'entraînement militaire et les nombreux sports de combat que tu as pu faire depuis ta plus tendre enfance. Les trois premiers paliers sont passés à l'aise. Quoique tu sentes que la gamine est sur le point de te lâcher en plein milieu, m'enfin faut avouer que ce serait bête hein ? Mais quand tu risques un coup d'oeil sur son (joli) minois, tu te rends compte qu'elle en a dans la panse et qu'elle s'accroche. Ca te motive à monter le quatrième étage, il tire un peu raide celui-là ... C'est qu'ils sont hauts ces escaliers en plus... Allez courage, il n'en reste qu'un ... Mais les cannes commencent à se faire lourdes et ...

Oh oh ... Quel est ce bruit indélicat ?

Le chien de la vieille qui se rappelle à toi ! Là, faut quand même dire qu'à ta place, mon tit Alceo, j'aurai sacrément envie de rentrer et de lui flanquer une dérouillée à grands renforts de kukri. Mais bon, pense à la vieille, pense à la vieille ... Faut pas qu'elle te voit....

Et souple comme un félin, on voit Alceo grimper le dernier escalier par de longues enjambées certes un poil raides mais quand même, faites-le vous ... Avec un poids (presque mort) sur les bras. Toujours est-il qu'il réussit à être relativement silencieux ce qui, vous l'aurez compris, c'est presque un miracle chez lui qui est habitué à s'annoncer à coups de grenades et de .44 magnum mais passons. Le voila donc au cinquième étage et se dirigeant vers l'appartement 5B, au fond du couloir.

Foutral de foutre, ça y est, j'suis arrivé à destination. Putain, ça a pas été sans mal mais j'suis content de l'avoir fait. J'ai mis du temps à monter mais bon ... Au moins j'suis arrivé sans encombres chez moi. Me reste qu'à traverser le couloir et nous voila devant ma porte. Je galère comme une demeuré pour retrouver mes clés mais finalement c'est bon ... Avec une main libre, c'est faisable et voila la porte ouverte. C'est non sans un rictus d'ironie que je lui annonce:

" Bienvenue dans mon taudis, mademoiselle ... "

Amstrong Street, number 9

On arrive enfin devant l'immeuble de mon collègue et je vois que ce n'est pas le quartier chic de la ville, mais qu'importe, tout ce que je veux c'est poser mes fesses quelque part et peut-être boire un truc, ouai un remontant, fort, vu que je suis déjà assez dans les vappes quand il me sort de la voiture.

Je passe de son dos à ses bras et je m'accroche à ce que je peux pour ne pas glisser, en l'occurence, son cou. Après être passé par le parking, il monte les premiers étages et s'arrête pour souffler au troisième. Encore un peu et j'ai cru qu'il allait abandonner et me laisser là alors je le regarde histoire de lui faire comprendre, que non, je ne compte pas crever tout de suite, et surtout pas là. Alors il continue.

Un chien commence à aboyer dans un des appartements et ça me donne envie de le shooter, dans plusieurs sens du terme. Ca me fait penser que je ne connais toujours le prénom ou ne serait-ce que le surnom de mon collègue et si je continue à me réferer à lui sous le nom de "collègue" je sens que ça ne va pas le faire. D'un autre côté, je n'ai pas dis qui j'étais non plus... je me demande si c'est vraiment utile.

Toujours est-il qu'il monte les dernières marches plus rapidement, sûrement à cause du clebs et on est arrivé devant sa porte, il sort ses clés, ouvre et nous fait entrer.
J'avoue que j'aimerais bien descendre maintenant, ma nausée me reprend et je me retiens de grimacer.

"- C'est... cosy."

Je sens que ce n'est pas vraiment ce qu'il voulait entendre mais je ne vais quand même pas me mettre à détailler son appart', j'me fous de l'appart', j'lui ferais des compliments plus tard s'il le faut, là tout de suite j'aimerais juste qu'on m'enlève cette foutue balle. J'le ferais bien tout seule mais je ne suis sûre de pouvoir me concentrer assez longtemps pour ça.

Comme j'me l'étais dit, désolé chérie mais c'est pas la Maison Blanche ici. J'fais avec les moyens du bord. En guise de brancard, voila la madame allongée sur mon plumard. J'fais un peu de place sur la petite table histoire d'y mettre tous mes instruments. J'regarde plus la petite, et j'me prépare au turbin. Va falloir faire ça vite et bien. J'enlève mon cuir et mon pull. J'ai plus trop le temps de penser ... Comme quand il me fait venger Alma, ... Je ne pense plus, j'agis.

J'allume déjà le gaz et la ventilation. Histoire de laisser le temps à la flamme de bien rester. J'fais couler pas mal d'eau et j'me lave soigneuresement les mains, s'agirait pas qu'elle soit prise de complications post-opératoires comme on dit... Bref, ceci fait, j'm'affaire sous l'évier et j'en sors mon attirail: pinces, baguette, tenailles, ciseaux, sangle, bandages dans leurs emballages, et une bouteille de whisky. Putain de nom de dieu, ça va être marrant ça ... L'attirail a l'avantage d'être propre. J'vis ptêtre dans un taudis, mais c'est pas une porcherie chez moi ...

Fut un temps, j'ai oeuvré jour et nuit pour tuer un maximum de gens autour de moi et me voici là à m'affairer pour sauver une personne qui tuera peut-être demain. Douce ironie. Cette lueur furtive d'excitation se mêle à celle dégagée par la cuisinière. Ok, tout est prêt. Me reste à voir la gueule de la blessure. Je m'approche sans précipitation, en m'efforçant de garder la tête froide. C'est vraiment pas l'moment de me laisser griser et lui arracher le gras des muscles à la pince. Ouais, ... Y a pas à dire, c'est pas propre comme blessure. Mais par contre, j'espère que la gonzesse a pas de petit ami parce que sinon ... Putain, j'me poserai des questions, la chance de cocue qu'elle a ... La balle s'est arrêté dans le fort du muscle sans aller jusqu'à percuter le fémur. C'est un peu compliqué pour enlver ça, faudra que j'évite de brûler la chair mais bon ... J'suis pas spécialiste hein ... J'fais ça. Et puis c'est tout.

J'retourne à la cuisinière et j'installe sur le feu une baguette et une paire de pince. La chaleur commence à envahir doucement la pièce, ça en devient presque surréaliste ici. J'vais me mettre à opérer la donzelle. J'reviens vers elle et j'découpe son jean à grands renforts de couteau papillon. C'est souple, pratique et bien utilisé, je n'entame pas la peau. J'aime pas prendre de risques alors je lui sangle la jambe au-dessus de sa blessure pour lui faire un semblant de garrot. Pas la peine de serrer trop fort... J'laisse échapper un maigre sourire.

" J'sais pas si t'as eu mal quand elle est rentrée. Mais j'peux t'affirmer que tu vas la sentir ressortir. "

Et comme pour couronner ma bonne parole, je lui verse une généreuse rasade de whisky sur la plaie. Je la sens se tendre sous l'effet de l'alcool... Ca, pour désinfecter ... C'est radical... Avec un sourire mi-figue, mi-raisin, je lui présente la bouteille.

Me voilà allongée sur son lit et je le vois préparer tout ce qu'il faut, je n'aime pas vraiment cette idée mais j'aime encore moins celle de l'hôpital. Mais comment lui faire confiance ? Est-ce qu'il sait ce qu'il fait au moins ?

Vu les instruments qu'il a préparé et tout ce qu'il a fait autour, je me doute bien que ce n'est pas la première balle qu'il retire mais l'avait-il déjà fait sur quelqu'un d'autre que lui, sur quelqu'un d'inconnu qui plus est ?

Il revient enfin avec tout ce qu'il faut, la chaleur de la flamme mêlée à ma nausée, me donnent vraiment envie de vomir mais je me retiens, au moins le temps qu'il finisse.
Il verse de l'alcool sur la plaie, je ne dis rien et serre les poings. Il me tend ensuite la bouteille et je ne me gêne pas pour en prendre plusieurs gorgées, je préférerais autant être dans les vappes, parce que sans antalgiques sous la main ça ne va pas être doux et délicat.

"- Fais-ça vite, qu'on en finisse."

Je ferme les yeux, serre encore plus les poings et essaie de respirer lentement pour pouvoir penser à autre chose.
Des images passent dans ma tête, la fusillade, la réunion aux Docks, John, Charlotte...
Charlotte, oui penser à ma fille, c'est une bonne idée, ça fait mal mais pas physiquement, remplacer une douleur par une autre, pour l'instant je n'ai pas mieux.

Putain, elle m'a l'air trop fraîche pour l'opération. J'lui ramène la bouteille et j'lui verse plusieurs autres gorgées dans la panse. Elle a à la limite de me dégueulasser le plumard mais bon. Vaut mieux qu'elle sente le moins de trucs possibles. Bien, ça s'est fait. J'lui carre un espèce de mors dans la bouche. Enfin, c'qui peut servir de mors. En fait, c'est un truc que j'avais bricolé à l'armée: un solide bout de bois entouré de lanières de cuir solidaires entre elles.

" En attendant, serre fort, ça fera moins mal. "

Les instruments sont prêts, eux ... J'vais chercher la baguette et je fais jouer la pince. Normalement, j'aurais pas besoin de plus grand et ça devrait rentrer. Je les essuie avec un bandage histoire d'enlever le gros de la chaleur et c'est parti. J'pose mon genou sur son tibia: a bougera pas, comme ça... Avec la sangle plus mon poids, ça devrait l'faire.
Je glisse la baguette dans la plaie histoire de rechercher la balle... Sans trop fouiller, j'ai pu la trouver, c'te salope de petite balle. Déjà pas mal ... Bien, j'laisse la baguette en place et j'insère la pince, en position fermée. S'agirait pas d'arracher un tissu au passage ... J'arrive à cerner la balle. Par chance, elle ne s'est pas totalement écrasée, ...

Complètement dans son truc, le bon Samaritain. Il est là à chercher la baballe dans la jambe de Curtis. Quoiqu'il se démerde plutôt bien. Les cours de survie de la légion ont été bien suivis, à ce qu'il semble. Il arrive à extraire la balle sans complication apparente. Bon, par contre, ça pisse un petit peu... Logique mais rapide, il applique le bandage, défait la sangle qui retenait le genou et applique un point de compression. Petite rasade de whisky, nouveau point de compression. Rien à dire, il fait ça propre. Moins d'une minute plus tard, la jambe est bandée et Alceo se retire et va s'asseoir sur une chaise en dur. Apparemment, ça a pas l'air d'être le genre de chercher à balancer des commentaires "cool" à tout bout de champ. Là, il est juste retiré de la jambe de Curtis, il lui a retiré le mors de la bouche et a foutu tous ses instruments dans l'évier pour nettoyage. Il reste maintenant assis, silencieux, la balle dans la main.

C'est un petit calibre. Une connerie du genre 9mm. L'genre de calibres qu'on retrouve à peu près partout dans c'te foutue ville à la con. Bref, j'en tirerai rien avec la méthode longue de recherche. Mieux vaut rentrer dans l'vif. J'commence de plus en plus à regretter de pas avoir balancé cette foutue grenade dans la bagnole, juste comme ça. Pour le goût de taquiner.

C'est la gamine qui m'inquiète le plus. Ok, la balle est enlevée, la jambe est désinfectée et court a priori pas de risque mais il lui faut du repos et j'ai l'impression que le temps manque. J'surprends mon regard s'arrêter auprès des putains de feuilles qui racontent ma saloperie de relation avec Alma, posées sur un coin d'la table. Bref, j'me lève et j'vais les ranger. J'ai pas envie que d'l'émotion revienne, surtout en ce moment. Bien, la gamine a pas l'air d'avoir dégueulé et elle a tenu quatre balles. Pas mal du tout pour une mission qui ne devait pas nécessiter l'intervention d'une autre personne. Va m'entendre le Parrain. J'me rassois avec une centaine d'idées qui percutent ma caboche en même temps ... Putain, j'aime pas ça.

Il me fait boire encore, je ne suis pas contre, je donnerai tout pour être KO à ce moment là. Je serre toujours les poings et bientôt je serre aussi les dents sur le mors que me file le gars.

Je referme les yeux, cette fois me concentrant sur les images de ma petite Charlie.
Il s'appuie sur moi après avoir posé un garrot de fortune et moi je pense à la naissance de ma fille. Je sens qu'il entre dans la plaie et je revois les yeux émeraude de l'amour de ma vie que j'ai laissé sans surveillance, qu'il a enlevé.

Il enlève la balle, ça m'aurait arraché un cri s'il n'y avait pas le mors et mes pensées, mes pensées qui me renvoient à cette nuit où j'ai découvert l'horreur dans laquelle j'avais mis les pieds. Marcus avait été tué, professionnellement, une balle dans la tête et Charlotte enlevée, il ne me restait qu'un petit mot de Vargas qui me disait de faire tout ce qu'il voulait sinon...

C'est quand je l'entend bouger que je me rends compte que j'ai encore les yeux fermés et les poings serré alors qu'il a terminé depuis une bonne minute. Je souffle, faisant partir ces souvenirs douleureux et en même temps la colère contre Vargas, qui m'a permis de tenir pendant "l'opération" sans dire un mot.

Je sens que je vais rendre le peu que j'ai mangé aujourd'hui, j'aimerais bien me lever, mais même la tête brûlée que je suis me dit que ça ne serait pas raisonnable. Je jette un oeil à la table de nuit, la bouteille de whisky y ait toujours, au milieu de papiers que mon collègue s'empresse de ranger. Je tends la main, attrappe la bouteille et siffle ce qui reste... au moins je pourrais dormir.

J'émerge un peu plus tard de ce flux de pensées à-la-con. Pute de vierge, ça s'embrouille de partout dans ma tête. J'aime mieux les choses simples mais là, j'suis gonflé. Putain, qui c'était les renforts blackos. En tout cas, pas des gangsters, ils portaient pas de couleur, ni suffisamment d'attirail. Pourquoi le Parrain avait pas prévu ces renforts ? Il va m'entendre le vieux quand j'vais lui faire mon rapport. Bordel, quatre personnes dans la maison, trois autres qui arrivent en renfort. C'est quoi c'te foutoir ... Crever pour une mission à la con, c'est pas tellement mon genre. 'fin bref, envoyer une gamine contre quatre, puis sept gars ... Un suicide.

A propos de gamine, elle est pas très bavarde. En même temps, je la comprends. 'fin bon, un merci lui aurait pas écorché le gosier, j'pense. Quoiqu'avec ce qu'elle m'a piraté comme whisky, j'me demande comment elle ferait pour avoir les idées claires. Elle a l'air de comater et m'étonne pas qu'elle délirerait un peu ... L'aube va pas tarder... D'ici quatre heures je pense. Ca suffira comme sommeil. J'vais dans mon armoire et en sors une couverture. 'Tain, faudra vraiment que j'refasse ma garde-robes et accessoires ... J'étends la couverture par-dessus la gamine après avoir vérifié le bandage. Au moins, elle passera une nuit pas trop dégueulasse... J'pense que ce qui m'attend, c'est la chaise.

Ou comment conclure en apothéose une nuit merdique.

Si je récapitule, j'ai fait une descente à Bull Run Street, buté deux gars dans la rue, environ une douzaine à l'étage, j'me suis pris deux balles dans l'buffet, j'les ai retirées, j'suis allé récupérer le chef black, j'ai r'buté deux gars, amoché salement un autre et j'me suis cogné six étages à remonter la gamine pour finir par lui enlever la balle dans la jambe et me retrouver à dormir sur la chaise.

Ouais ...

La nuit a été rude.

Et c'est sur ces quelques paroles qu'Alceo va s'asseoir sur sa putain de chaise après avoir pris soin d'la gamine. Il veille un peu sur elle, profitant de l'obscurité pour se reposer enfin les mirettes. Quelques pensées le tracassent ... Et si la fille se réveillait avant lui ? Est-ce qu'elle en profiterait pour jouer la pourriture et le descendre aussi sec, récupérant son pognon, ses armes et effets personnels ? Et si ... Et si ... Et si ...
En bref, c'est l'genre de pensées qui l'accompagnent au moment où il s'endort.

Et comme il l'a dit, la nuit sera une vraie apothéose: le sommeil est agité. On revoit des meurtres, des victimes qui agonisent, des cris, des femmes, des pleurs, des explosions, des blessures, des morts ... Joyeux programme, non ?

Mes paupières deviennent lourdes même pas cinq minutes après que j'ai vidé la bouteille, l'alcool, la fatigue, la nausée, tout ça contribue à ce que je sombre dans un profond sommeil, sans rêves, sans cauchemars, comme dans une bulle de coton qui m'enferme.

*****

Une lueur m'empêche de garder les yeux fermés, elle traverse mes paupières et m'agresse dans mon sommeil, demi-sommeil maintenant que mon cerveau s'est remis en marche. J'ouvre finalement les yeux et regarde autour de moi, encore dans les vappes. les évènements de la veille me reviennent lentement, par flashs et je finis par me souvenir que je suis chez quelqu'un, mon "collègue". D'ailleurs je le remarque qui somnole sur la chaise.

Je grimace, je ne suis pas habituée à baisser ma garde et à m'endormir auprès d'un inconnu qui, en plus, est au moins aussi clean que moi. Je me surélève sur mes coudes, ma cuisse est encore douleureuse mais c'est incomparable à hier, quand la balle était encore dans la plaie.
Je regarde la pièce, je me demande où est-ce qu'il a posé mes flingues car il est évident que je n'ai pas dormi avec mon holster d'épaule, ni avec l'étui que j'avais à la cheville.

Je m'asseois sur le lit, je pourrais me lever et partir sans demander mon reste, ma jambe me ferait souffrir mais je verrais ça chez moi, oui je pourrais...

"- Hey."

Mais je ne le fais pas, je bosse en solo, c'est vrai, mais sans son invervention je serais sûrement déjà six pieds sous terre. S'il a été un allié pendant ce moment je préférerai ne pas l'avoir contre moi si jamais on devait rebosser ensemble alors autant rester polie.

"- Hey, la belle au bois dormant..."

Oui, bon ... Comment dire ... Prenez un bonhomme d'environ 27 ans, m'voyez ? Vous le mettez dans une situation embarrassante: genre ne pas avoir eu de compagnie depuis des années, vous rajoutez à cela un sommeil lourd étant donné les événements de la veille et vous saupoudrez le tout d'une voix féminine assez sympathique qui lui enjoins de se réveiller à son domicile.

Résultat de la recette, réveil en sursaut, flingue en pogne. Se voyant complètement ridicule dans cette situation inconfortable, il range son pistolet. Il en profite pour se frotter un peu son visage. Ca devient dur, c'est pas rasé, c'est encore plein de sueurs. Bref, pas terrible terrible, tout ça.

" Thé ou café ? "

J'hésitais à sortir une banalité du genre "bien dormi" ou "comment va ta jambe" mais l'humour le matin, c'est pas mon fort. Ma montre m'indique 06H25. Ouah, j'ai pris un peu de rab. Et bordel, elle s'est réveillée avant moi la ptiote. C'est pâââs bien ça, Alceo, pâââs bien du tout.

Va falloir que j'prenne ce petit déj'. J'vais aller descendre chez le ptit français du 3ème, il a toujours des croissants pour moi celui-là depuis que j'l'ai aidé contre les racailles qui avaient essayé d'le détrousser. Et pas de ces putains de croissants de super-marché, non, des vrais des beaux, faits maisons.

Je sors du placard une bouteille de marsalà et j'la pose sur la table.

" Je vais sortir récupérer de quoi prendre un petit déjeuner. J'en ai pas pour longtemps. La salle de bain est là si t'arrives à te lever. Y a une serviette propre. "

J'connais pas ses habitudes alors autant la jouer sympathique. Le matin, j'suis carrément énervé et dans l'brouillard. Faudrait pas que ça m'joue un mauvais tour. Avec la nuit de merde et c'te putain de journée à la con que j'ai passée hier, ça s'arrange pas. Alors autant faire en sorte qu'au moins le matin se passe bien. Même si j'ai la trop nette impression que ma voix est beaucoup plus coupante que je ne l'aurais souhaité. Va falloir que j'prenne des cours de bonne conduite, ça devient urgent.

Sa réaction ne se fait pas attendre, il dégaine, prêt à sauter sur tout ce qui bouge. Ca m'arrache un sourire, je fais pareil quand je suis prise au dépourvu.

"- Café."

Je ne bouge pas du lit, toujours en position assise, je le regarde se déplacer dans le petit appartement, sortir deux verres et ... du Marsalà, un vin italien que je connais plutôt bien pour l'utiliser souvent dans mes recettes. Je ne dis rien sur le fait qu'on est en matinée, j'ai toujours besoin d'un remontant après ce genre de sale journée et je ne vais pas rechigner à prendre un verre.

Il me dit qu'il va chercher le petit déjeuner et que je peux me doucher, la situation est cocasse, si on n'était pas tous les deux des tueurs, ça serait une parfaite pub pour le couple modèle.
Je sens qu'il a du mal avec les relations humaines mais je ne relève pas, pas le moment de faire de l'humour ou des sarcasmes, je ne veux pas qu'il me jette dehors avec un flingue sur la tempe.

"- Ok... merci."

J'ai eu du mal, moi aussi, à le sortir ce merci, je n'ai pas l'habitude d'accepter de l'aide, encore que hier je n'avais pas le choix, mais apparemment il vaut mieux ammorcer le contact histoire de voir s'il peut devenir plus qu'un "collègue de passage".

J'attend qu'il sorte pour me lever en grimaçant, ma cuisse me fait souffrir mais je peux marcher, enfin tant bien que mal. A peine levée j'ai la nausée qui me reprend, violemment, j'ai à peine le temps d'arriver à la cuvette des chiottes que je rends tout ce que j'ai mangé hier, voir plus.

Au moins je me sens mieux, je rince les toilettes, me regarde dans le miroir, on dirait un zombie, et me déshabille.
L'eau chaude de la douche me remet en forme, au moins en partie et je me lave rapidement puis m'enroule dans la serviette pour me sécher.
Je mets le nez dehors histoire de récupérer mon jean et ma veste mais je sens que je ne pourrais pas faire grand chose, mon jean est maculée de sang, ma veste trouée, et la chemise qui est restée dans la salle bain est dans un état lamentable.

C'est à ce moment que j'entends la porte s'ouvrir et que mon collègue rentre avec les viennoiseries, du moins je suppose que c'est ça, et je suis toujours plantée en plein milieu de la chambre.

Bien, du café ... Ca tombe bien ... Le matin, c'est sympathique. Quoique le café des Etats-Unis est une véritable lavasse comparé à celui de Sicile. C'est pour ça que mon café, il est bon. J'me ruine en thunes pour acheter ce putain de café que prend déjà mon grand-père au matin. Et j'repense tout le temps à lui à chaque fois que je remplis ma cafetière. J'me le café à chauffer. Dernier regard sarcastique vers la gamine et j'embarque la bouteille dans mon équipée pour aller chercher le ptit déj'.

Putain de connard de clébard de la vieille. Toujours à gueuler celui-là. Je retrouve le petit Français au 3ème. Il doit avoir 13 ou 14 ans, pas plus. Il s'est remis à la musculation depuis la fois où j'l'ai aidé. L'est mignon le ptit blondin, il détone complètement dans cette environnement crasseux avec sa petite chevelure blonde bien coiffé et ses grands yeux joueurs.

" Ah, salut Al ! Tu viens chercher ton petit déj ? "

" Tout juste, blondin. mets m'en une belle dose ce matin. J'ai une sacrée journée qui m'attend. J'ai pris du marsalà du pays pour tes parents. "

" Ca va faire plaisir à papa et maman. "

Il se tourne vers l'intérieur et appelle sa mère. Une sacrée gentille bonne femme qui m'invite à rentrer. Ils viennent de finir la fournée. Tout le monde est déjà debout chez eux, c'est dingue ... J'sais que le père travaille tôt mais quand même. On échange des politesses et des banalités. Je refuse un café et j'embarque les croissants, en promettant de revenir plus tard. En général, j'passe une fois par semaine leur donner un produit d'Italie et récupérer de quoi améliorer mon ordinaire. Je remonte avec le sachet de croissants dans ma piaule. Le café va bientôt être prêt. J'en suis tout à mes pensées culinaires quand j'rentre dans l'appart et là ...

Je bloque.

* gloups *

Déjà, ça fait longtemps que j'ai pas eu de copine, genre 4 ans. Et j'me retrouve avec une nana gaulée comme dans les magasines en serviette de bain en plein milieu de mon appart'. Pince-moi, je rêve.

Et là, j'me demande sincèrement ce qu'elle fout là dans cet état-là. Elle aurait pas pu remettre un semblant de fringues ... J'hésite sérieusement à la violer sur place, ça m'ferait pas mal de bien ça, surtout en ce moment... Mais bon ... En même temps, reprends-toi mec, reprends-toi ... Deuxième idée, elle état partie pour fouiller dans mes affaires et j'l'ai surprise... Faut que j'arrête la parano à deux balles, j'me fais rire tout seul. Quoiqu'il en soit, un léger sourire se dessine sur le visage:

" Tu sais, le "merci" de tout à l'heure m'a suffi. Même si c'était pas grand chose... Pas besoin d'un remboursement en nature... "

C'est dit mi-figue mi-raisin. D'une, je sais pas ce que fout une gonzesse à demi à poil au milieu de mon appart, de deux j'trouve la situation vachement drôle, ça m'aide à m'détendre. Putain de soirée de merde mais réveil avec une vue plutôt sympathique. C'est déjà ça de pris. Ca m'aide à recoller les morceaux même si j'sais que j'serai foncièrement incapable sans mon kawa dans l'estomac. C'est pourquoi, j'progresse dans mon chez moi et je dépose les croissants sur la table. Le café est presque prêt. C'est là que je repère le jean que j'ai défoncé hier et la veste trouée...

" Ah ouais ... En effet ... "

Evidemment c'était trop beau, il a embarqué le vin en partant faire les courses mais la bouteille est bien vite oubliée quand il se plante devant moi, qui suis juste en serviette, et ne sait plus quoi dire.

Je ne suis pas du genre pudique, même avec les inconnus, ça ne me gêne pas qu'il me regarde, en fait ça m'amuse pas mal même, d'où le sourire moitié sadique, moitié franc, qui s'affiche sur mon visage.

L'odeur du café le sort de sa transe et il fait une pointe d'humour puis part déposer les croissants dans la cuisine.
Quand il jette un oeil dans la chambre, je suis en train, toujours en serviette, de ramasser mes fringues et c'est là qu'il se rend compte pourquoi je n'ai encore rien pu me mettre sur le dos.

"- Dis, je comprends que ça te botte de me reluquer mais je te serais reconnaissante si t'avais un truc à me filer... pour m'habiller."

Je ne suis pas sûre que ça l'enchante, mais c'est soit ça, soit je continue de me ballader comme ça et même si moi, ça ne me gêne pas, lui peut-être bien que si.

Je m'avance dans la cuisine, attirée par l'odeur du café, et m'appuie sur le chambranle, histoire de ne pas trop fatiguer ma cuisse.

Comme-un-con, j'arrive à me débloquer et à entrer dans la cuisine déposer les croissants. Ca fait quand même du bien de sentir cette bonne odeur de kawa, quand j'pense à toutes ces saloperies dont s'empiffrent la majorité de mes concitoyens.

Hmm, bref. J'ai pas tellement le temps de profiter de l'instant que j'entends la nénette réclamer pour des fringues. MES fringues en plus. Nan mais eh oh ... J'en ai déjà pas suffisamment pour moi ... Si en plus ...

Putain, calme-toi, Alceo... Caaaaalme.

Tranquille ...

Respire ...

Voila ...

Ben, en parlant de ça, la voila qui débarque et qui s'appuie sur l'encadrement. La cuisse doit bien bien lui faire mal. J'vérifierai ça d'taleur quand je regarderai le bandage. Bref, j'en profite pour la regarder droit dans les yeux.

" Ecoute, si ça te gêne pas. On voit ça après le petit déj ... Maintenant que t'es là, on en profite pour manger, non ? "

Ma main sort délicatement les croissants tout chauds de leur emballage.

" Ce serait un crime de les laisser refroidir, non ? Ils sortent juste du four. "

Je lui lance un regard façon yeux du chat potté. J'ai les crocs et de toute manière, j'suis incapable de réfléchir à quoi que ce soit avant la bouffe du matin. J'ai besoin de calme, certes mais tout de même...

Je soutiens son regard. Je me dis qu'il n'a rien demandé, qu'il était là pour moi hier, par hasard peut-être, et qu'il n'était pas obligé, je lui dois quelque chose, ma vie sûrement. D'un autre côté je n'ai pas non plus besoin d'être tout sucre tout miel, "gentille dans mes limites" suffira.

"- Aucun problème."

Ca me fait sourire mais j'en reste là, pas besoin d'en rajouter, être quasiment nue dans sa cuisine est déjà une situation assez... spéciale comme ça, pour lui en tous cas, je le suppose.

J'hume l'odeur des croissants, en effet ils sentent bon et la boulangerie en bas de chez moi en a rarement d'aussi frais, faut dire aussi que je prend plutôt du bacon&eggs que des viennoiseries mais ce n'est pas pour autant que je n'aime pas.

"- En effet, ça serait un crime." Dis-je en en piochant un dans son petit sachet.

Je mors dans la viennoiserie, toujours appuyée contre le chambranle, et, pour la première fois depuis la veille, je repense à ce qui s'est passé, à ce qui a merdé et à comment rattraper le coup, si tant est que ça soit possible... et si j'en ai vraiment envie.

" Assieds-toi, j't'en prie, va pas fatiguer trop ta jambe. "

Bordel, les efforts qu'il faut pas déployer le matin pour faire paraître un semblant d'amabilité. Ca m'ennuie tout ça. J'y repense en versant le café dans ma tasse. J'en verse un aussi pour la gamine. Va pas croire que j'sois radin en y mettant pas de quantité... Mais tu verras quand t'auras goûté le nectar ... D'ailleurs, je lui indique de faire comme chez elle. C'est pas parce qu'elle est limite à poil dans ma cuisine que j'vais oublier les bonnes manières.

Ca me fait penser que le sucre que j'lui tends ... Je ne l'utilise jamais pour le café. Moi, le café du matin c'est obligé. Court, sans sucre, juste le goût. Elle, je sais pas. C'est un détail.

Les bons croissants du petit Blondin me redonnent du baume au coeur. Y en faut pas grand chose pour me remettre bien et j'me surprends à me détendre. C'est comme Proust avec sa madeleine ... Mais d'où j'sors ça, moi ? 'fin bref, tout ça pour dire ... Ca fait du bien de grailler un peu. Faut que ce soit pas trop trop consistant... Suffisamment pour que ça aille.

En bref, je repense à ce que la gamine m'a dit ... Elle a vraiment pas l'air dans son assiette et ça se voit. J'vais pas jouer les fausses pattes. Autant lui faciliter la vie.

" Je vais aller voir ce que j'ai comme vêtement qui pourrait t'aller. Ca sera t-shirt noir et pantalon de sécurité. Ca taillera un peu large par contre ... "

Ouais, c'est pas qu'elle est toute menue si on la compare à moi ... C'est pas tellement le même gabarit. Même si j'devine qu'elle a des muscles pas trop mal dessinés et plutôt bien entretenus. Un joli bout de bonne femme. Je descends le café et le laisse me brûler le gosier. Je me lève sans trop de cérémonies et me dirige vers mon armoire.

" Prends ton temps pour finir. Et sers-toi si tu as faim. "

C'est dingue comme un bon petit déjeuner peut améliorer mon humeur ... Bon, j'suis passé de "massacrant" à seulement "presque antipathique"... C'est déjà ça, il faut le dire ! Bref, comme pour confirmer mes paroles, j'attrape un croissant et l'enfourne sans autre cérémonie. Petit lavage de main et direction mon armoire pour rechercher ce que j'ai de plus petit dans la garde-robe. Parce que si on a bien quinze centimètres d'écart, on doit avoir vingt bons kilos de différence aussi ...

Bref, c'est pas gagné mais bon, on verra bien.

Je hoche la tête pour toute réponse et m'asseois, libérant ainsi ma cuisse du poids d'une partie de mon corps. Il verse mon café alors que je pioche un deuxième croissant, je ne voudrais pas passer pour une goinfre mais ces derniers jours j'ai vraiment faim le matin, m'enfin...
Il me tend le sucre mais je décline son offre, un café noir, sans sucre, sans lait, c'est ce qu'il y a de mieux pour me remettre d'aplomb pour la journée.

Son comportement m'étonne un peu quand même, bourru et pas super sociable au premier abord il en deviendrait presque aimable mais après tout peut-être que je l'ai mal jugé. A la réunion il m'avait paru froid mais j'avais pas mal de retard aussi, il n'a pas du apprécier. Et puis dans la nuit... on n'a pas beaucoup parlé, donc...

Je me détend un peu plus quand il part et sirote mon café. Je suis tiraillé entre mon habituel méfiance envers... tout le monde en fait et le fait qu'il m'ait sauvé la vie. Je ne veux surtout pas qu'il croit que je suis dépendante de lui maintenant ou quoi que ce soit mais par contre je n'ai jamais plaisanté avec les dettes et j'en ai une envers lui, quoi que je pense.

Je l'entend fouiller dans son armoire, j'avale rapidement un troisième et dernier croissant et laisse mon café tiédir un peu pour me lever, non sans une grimace, et revenir dans la chambre, où il se trouve.

"- Hey. J'attire doucement son attention. Merci pour hier soir. Tu n'étais pas obligé."

Décidément je n'ai pas l'habitude de me confondre en remerciements mais si ce n'est pour lui au moins que ça soit pour moi, pour avoir la conscience tranquille. Encore que ça soit un peu ironique vu mon boulot officieux. Mais bon, ce n'est pas pour autant que je n'ai pas gardé quelques principes de mon ancien job.

Bon, ben ... J'crois que j'ai trouvé. Un vieux pantalon de sécurité noir mat avec un t-shirt assez court. Ca suffira le temps qu'elle rentre chez elle se changer. J'sors tranquillement les affaires. En repensant que, quelque part au fond des fringues, y a le journal d'Alma... La petite Alma. J'en tirerai presque une larme de tristesse mais faut pas déconner... Pas maintenant ... Jamais.

A mes idées sombres, je relève la tête pour la voir à nouveau dans l'embrasure de la porte. Avec la lumière qui vient de la cuisine, ça ferait presque un halo autour d'une silhouette d'ange. Sympa comme comparaison, mais j'suis pas sûr que ça serait forcément bien pris. J'reviens complètement dans le monde "réel" lorsqu'elle m'interpelle. C'est marrant... J'imagine une fille comme elle, au passé pas forcément glorieux ... Aux mains rouges de sang, qui a fait un sacré nom de Dieu de carton hier et qui trouve le moyen d'avoir une voix toute mignonnette et féminine. Alors là, chapeau.

Puis lorsqu'elle réitère les remerciements, je ne peux m'empêcher de sourire. L'air con que j'ai, encore accroupi avec des fringues bien pliées dans les bras. J'me relève... Y a un truc qui me chiffonne quand même... Sur le moment, je peux m'empêcher de me poser des questions ultra-philosophiques... C'est vrai que j'étais pas obligé... C'est vrai que j'aurais pu la laisser clamser au milieu du merdier. Mais j'avais besoin du black ... Et à partir du moment où je suis entré dans la danse. C'était tout ou rien.

" J't'en prie. Pas trop dans mon genre de faire le travail à moitié. Si j'intervenais, il était clair que j'avais besoin d'un flingue en plus. A partir de ce moment-là, je pouvais plus décemment te laisser en plan. "

C'est bassement utilitariste, mais ça a le mérite d'être franc. J'voudrais croire que je ne l'ai pas sauvée par grandeur d'âme ... Mais en fait ... Dès le moment où ça a commencé à mal tourner, j'aurais pu repartir et la laisser en plus. Et elle le sait ... Et les gens qu'étaient sur le lieu aussi le savent. Donc, va falloir qu'un jour, j'assume ça. Mais bon, ce genre de remarques qu'elle m'a lancées, ça fait toujours plaisir. Je reçois le plus souvent des menaces de mort ou trucs du genre, ça fait plaiz' d'avoir un "merci" pour une fois. 'Fin bon, j'ai comme qui dirait le pressentiment que ça va pas devenir une habitude de sitôt.

En la regardant, j'me rends compte que ça a pas l'air d'être encore tout à fait ça, sa jambe. Quelque part, elle m'fait un petit peu mal la petite, à la jouer femme forte et courageuse. C'est ptêt pour ça aussi que j'm'adoucis en ce moment. Pas envie de partir en pugilat et que sa jambe dégénère. Le cas échéant, ça retomberait sur ma pomme.

" Dis voir, je vais refaire ton bandage pour voir comment évolue la blessure. Assieds-toi sur le lit, s'il-te-plaît. "

Yeah, c'est que j'deviens bon, j'arrive à dire "s'il-te-plaît" et d'une voix relativement tranquille et presque ... banale. Bon, en même temps, c'est à elle que je rends service. Sans aller jusqu'à la bichonner à l'extrême. J'aime pas l'idée qu'elle parte avec une blessure dégueulasse. Car faut dire ce qui est, j'ai pas réalisé ça dans les meilleures conditions qui soient.

Au bout d'un moment de silence de sa part, j'ai l'impression qu'on a l'air cons, à pas pouvoir communiquer normalement... d'un autre côté peut-on dire qu'on est normaux, comme tous les clampins dehors qui font métro-boulot-dodo sans se soucier du reste ?

Je me surprend à me demander ce qu'il avait vécu pour en arriver là, ce qui l'a poussé à finir du mauvais côté de la barrière, moi je n'avais pas eu le choix, on ne m'avait pas donné la liberté d'accepter ou pas, c'était ça ou rien, ça ou mourir... encore que je me demande parfois si ça n'aurait pas été plus simple.

Je secoue la tête pour chasser ce genre d'idées, il faut que j'assume. Puis j'entend sa réponse : je m'en doutai un peu, je n'insiste guère.

"- Je comprend..."

Je réglerai mes problèmes d'égo un autre jour.

Puis il continue et le s'il te plaît plus le ton de sa voix me prennent de court et je relève la tête pour le regarder dans les yeux, intriguée. Je m'assois quand même et je n'ai pas vraiment besoin de soulever quoi que ce soit pour lui montrer le bandage, vu que la longueur de la serviette est, comment dire, minimaliste.

Je soupire légèrement en regardant par la fenêtre alors que je le laisse regarder. Je ne vais pas reprendre une mission de sitôt avec ce gus qui se prend pour le Parrain et le caïd de la ville. Je ne mouille pas dans des trucs pas nets et fait à l'arrache, sinon ça se voit qui paie les pots cassés.
Je fais les trucs de façon professionnelle mais il faut qu'on me prépare le terrain. *Oh oui Sam, c'est la dernière fois que tu acceptes ce genre de plan, la dernière.*

Bon, ben, c'est comme qui dirait parti. J'la vois assise avec le bandage à la cuisse. Je m'occupe de le défaire soigneusement. j'suis assez fier de mon travail. Le bandage est bien fait et ne serre pas trop. J'enlève le tout et balance le bandage. Par contre, sa plaie est pas très belle. La balle est entrée de biais et on a pas arrangé le coup hier soir en l'enlevant. Ca a bien cautérisé, c'est l'avantage et ça a arrêté de saigner. De ce point de vue là, c'est bon.

J'suis pris d'une vieille idée à la con. Là, j'ai ma main sous sa cuisse, et ...
Putain, Al', ne palpe pas cette cuisse, ne palpe pas cette cuisse, t'es pas là pour ça, tu connais pas la fille, t'as pas envie de la connaître, t'as pas envie de jouer au con ...

PUTAIN, POURQUOI T'AS PALPE CETTE PUTAIN DE CUISSE

Eh merde, fallait que ça m'arrive. Bon, beeen, tant pis. pas besoin d'essayer de rattraper inutilement le coup par de veines paroles alors autant y aller franco. Je relève la main qui était sous la cuisse et la place avec l'autre de manière à encadrer la blessure. Maintenant, ce qu'il faut faire, c'est détendre les muscles. Et ça va pas être facile facile. Alors, j'commence un massage. Le premier geste est lent, fait d'un petit mouvement circulaire, qui ne s'approche pas de la blessure. Je la regarde dans les yeux en tentant de faire disparaître de mon regard cette lueur noire qui ne l'a jamais quitté depuis tant d'années, voire si elle émet une objection au traitement.

Je regarde toujours par la fenêtre alors qu'il défait mon bandage, je repense à ce que j'ai fait hier soir, ce à quoi j'ai pensé et en quoi ce n'était pas une bonne chose à faire.
Sur le coup penser à Charlotte était... mieux que rien, ça m'a permit de supporter la douleur sans hurler ou tomber dans les vappes mais maintenant, maintenant ça me tiraille, comme cette blessure que mon collègue est en train de vérifier.

En parlant de ça il vient de poser sa main sous ma cuisse et l'autre dessus, et... je suis sciée. Lui qui était encore froid comme un bloc de glace il y a à peine, quoi, quelques heures, est en train de me faire un massage.
J'avoue que ça m'a légèrement coupé le souffle et mes yeux reviennent instantanément se poser sur lui et, forcément vu qu'il me regarde, nos regards se croisent.

Je ne dis rien, je reste quelques secondes comme ça puis retourne à mes pensées, je ne déteste pas... bon d'accord, ça fait du bien, beaucoup de bien mais je me force à ne pas lui dire cash, à peine un petit sourire est apparu sur mon visage puis a disparu aussitôt que j'ai repensé à ma fille.

Charlie, je me demande ce que j'ai mal fait, ce que j'aurais dû faire et ce que j'ai laissé passé. Marcus devait être là, il y était, il est mort... est ce que Charlotte a assisté à ça ?
Je n'ai pas le temps de m'en rendre compte qu'un flash s'insinue dans mon esprit : moi enceinte de Charlotte, Charlotte à son premier anniversaire, Charlotte six ans, à la télévision en 2006, dernière fois que je la voyais.

A la seconde où ma vision s'arrête, un affreux mal de crâne la remplace, nausées en prime, mais je commence à avoir l'habitude de ces dernières.
Je ferme les yeux, grimace et mets les mains sur mes tempes tout en respirant lentement, oubliant complètement qu'il y a quelqu'un à quelques centimètres de moi. Tout ce que je veux c'est faire passer la douleur et comprendre le pourquoi de ce flash, qui ne m'apprend rien.

Aurais-je réveillé des souvenirs en y repensant, assez forts pour provoquer ce satané de "don" ? Ou bien ai-je jadis laissé passer quelque chose que ce flash voulait m'apprendre ?

Ca a pas l'air de déranger madame outre mesure le massage, donc je continue. Des mouvements circulaires autour de la blessure pour calmer les nerfs puis je fais un jeu de comprimer les muscles puis de les relâcher afin de les détendre. Je sens sa jambe s'alourdir, signe que mon travail n'est pas sans résultat.

Puis d'un coup, beng, ça s'arrête. La jambe se crispe et se détend violemment. C'est quand même pas moi qu'ai fait ça ? J'suis d'accord que j'suis bien plus doué avec le chien de mon flingue qu'avec la chatte d'une jeune femme mais quand même ... Je pense que je psychote pour rien vu la tournure qu'a pris son visage. Elle a l'air de vouloir partir pour l'Europe si j'en crois la taille des valises qui se dessinent sous les yeux. Elle se masse les tempes, je continue à lui masser la jambe. On reste dans le contact physique et elle a l'air de m'avoir complètement oublié.

Ce qui me gêne, c'est que rien ne prédisait ce mal de crâne qu'elle est en train de se taper. C'est pas mon café, d'ailleurs, elle l'a pris comme moi, sans sucre, juste le goût. Nan, c'est carrément autre chose. Autre chose que je ne m'explique pas... Et c'est pas l'genre de mal qu'on a l'habitude de croiser aux quatre coins de la ville.

Je la laisse se reposer un petit peu, reprendre ses esprits, je continue les allers et venues sur sa jambe endolorie, changeant "d'exercice" de massage assez régulièrement pour ne pas habituer les nerfs. Puis, lorsqu'elle rouvre enfin les mirettes et reprend conscience de son environnement, je la regarde directement dans ses grands yeux verts:

" Ca t'arrive souvent ce genre de mal ? "

Curieusement, ça me rappelle ce qui m'arrive quand je me concentre de trop. J'pète un fusible et c'est rarement bon pour ma santé et celle de mon proche entourage. En témoigne ce qui est arrivé à Bull Run Street où j'ai été assez con pour me manger une balle.

J'ai cependant bien récupéré de la blessure et j'suis à nouveau frais comme un gardon et va bien falloir que je la remette sur pied, la gamine. Car quoi qu'elle en dise, elle a été envoyée par le Parrain et maintenant deux solutions: soit elle se passe pour morte et elle risque de vraiment le devenir si elle remet le nez dehors dans les vingt prochaines décennies, soit on va voir le Parrain et on l'engueule. Il va pas aimer ... Mais moi non plus j'ai pas aimé risquer d'y passer pour 4000 biftons.

La gamine a l'air un peu patraque. J'serai toubib, je lui filerai un arrêt de travail ... Si tant est qu'un arrêt de travail puisse se justifier au vu de sa profession ...

Je me masse légèrement les tempes, la douleur s'atténue, ma respiration reprend un rythme normal et je rouvre les yeux. Evidemment il est toujours là, en face de moi, et il me regarde, et il me questionne.
Je n'aime pas ça. Déjà que me faire aider ce n'est pas mon genre, déjà que me faire soigner ET masser, c'est encore moins mon genre, mais en plus dévoiler mes putains de visions ça c'est encore moins mon genre.

"- Laisse tomber."

Mon ton est plus froid et sec que je ne l'aurai voulu. Il n'y est pour rien après tout, je n'aurais pas fait la connerie de penser au passé, alors que je ne peux rien y changer, ça ne serait pas arrivé, mais je me vois encore moins lui étaler ce que j'ai vécu.

"- Vaut mieux que je m'en aille..."

Ma voix s'est radoucie mais de toute façon c'est trop tard... Je vais rentrer, prendre des analgésiques et dire ses quatres vérités au caïd qui m'a engagé.
Et après je passe à autre chose, une nouvelle mission, une nouvelle cible, un autre employeur surtout.

J'attrape d'une main les vêtements qui me sont destinés et qu'il a posé sur le lit, de l'autre je tiens la serviette et je tente de me relever, tant bien que mal, sans qu'il cesse de me regarder.

J'aurai dû partir ce matin, ramasser mes fringues, mes armes et m'en aller sans demander mon reste, je n'aurais pas eu à faire face à ce genre de situation. Mais je ne suis pas partie pour une raison non ? Je ne sais même pas laquelle, je ne sais pas même pas pourquoi mais là, il vaut mieux, pour tout le monde, que je le laisse tranquille, même si j'aurais peut être aimé avoir un "collègue" dans son genre.
Je soupire...

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