Bureau de Sam Lake

Bon sang...
Vous savez quelle heure il est? 8h30...
Vous savez pourquoi j'vous l'dis? Parce que le soleil est déjà levé, et que moi, j'ai toujours pas dormi. J'suis pas insomniaque hein, bien que parfois... Enfin bref. Si j'suis encore debout, c'est parce que j'ai dû résoudre une affaire, en apparence très simple, qui pourtant m'a pris toute cette putain de nuit. Là je suis en train de voir le bout du tunnel, j'suis près de la conclusion. Mon affaire est résolue, je ramène la suspecte au poste, ensuite je retourne à mon bureau, et je tape mon rapport. Après j'prends le tram et je rentre à la maison. Enfin, ça c'est ce qui se passerait sûrement si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Sauf qu'aujourd'hui je suis censé prendre mon service à 9h tapantes. Et comme j'ai déjà grillé tous mes jours de congé, mon repos bien mérité j'vais pouvoir me le caler bien profond où j'pense. P'tain, j'vous jure, si y a un connard qui ose me sortir "Tiens, t'es en avance aujourd'hui Lake?", il va s'prendre ma semelle pointure 44 dans les gencives, c'est certain. Et l'autre folle qui arrête pas de baragouiner des trucs en espagnol sur le siège arrière de ma patrouilleuse, comme si j'avais pas déjà assez mal au crâne comme ça. Toute la nuit qu'elle m'a cassé les oreilles celle-là, vlà que maintenant elle se tape la discute avec le saint esprit à voix haute. Heureusement qu'il est multilinguiste le seigneur hein? Il a le beau rôle ce con. Ca y est, on arrive enfin au commissariat. Il était temps. J'la sors de la patrouilleuse, elle continue de tailler une bavette avec l'autre au dessus des nuages comme si j'existais pas. Apparemment elle a un paquet de trucs à lui dire, ça a l'air passionnant. Enfin bon, peu importe, je l'amène à l'accueil, où nous attend ce cher Flaherty. Une vrai statue de marbre ce type. Si moi on dit que je tire la gueule, lui me surpasse à tous les niveaux. Bref, après tout on s'en fout un peu de sa gueule à ce mec, tant qu'il fait son boulot...

- 'Lut Flaherty... Z'avez réservé une cellule individuelle comme j'vous l'avais demandé par radio?

Vous savez ce qu'il fait ce con au lieu de me répondre? Il se penche légèrement, faisant grincer sa chaise (bien qu'en y repensant à deux fois, c'était peut-être lui qui grinçait), et il examine ma suspecte de bas en haut avec une de ces lenteurs... J'connais des paresseux (les singes hein, au cas où vous demanderiez) qui bougent plus vite que ce type. Faut dire, je le comprenais un peu, après tout, ma suspecte, elle était encore en peignoir et pantoufles. Wai j'vous raconterai après. Enfin bref, après son "scrupuleux" examen visuel, ce cher Flaherty me regarde enfin, se remettant correctement sur sa chaise, avant de me lâcher sur un ton monocorde:

- Les suspects doivent avoir les mains menotées dans leur dos, pas devant...

Nan mais vous y croyez? Cet abruti me réprimande sur ma façon de menotter mes suspects, non mais de quoi j'me mêle? C'est pas lui qui a passé la moitié de la nuit à essayer de calmer cette espèce de folle pour qu'elle daigne enfin me suivre. C'est pas lui qui a du jouer au flic condescendant derrière une porte fermée, durant des heures, à essayer de calmer cette dégénérée qui menaçait de se faire exploser le caisson. Je viens sans doute de passer la nuit la plus chiante depuis des années, et ce con vient me les briser pour des menottes mises devant au lieu de derrière? Et en plus de ça, il a même pas répondu à ma question. J't'en foutrai moi des regards de marbre, ducon...

- Z'avez peur qu'elle fasse quoi avec ses mains devant Flaherty... Qu'elle vous agresse avec ses bigoudis?

Avec toute la vivacité qui pouvait l'animer, il daigne enfin regarder ses notes. Il met le doigt sur ma requête, et annonce enfin:

- Une cellule individuelle est prête, en effet. Cellule neuf.

- Merci...

La flemme de la conduire jusque jusqu'aux cellules, je choppe un jeunot en uniforme que je connais plus ou moins et qui passe par là, un certain Smith.

- Tiens Smith... Tu peux conduire madame Rodriguez à la cellule neuf s'il te plaît? Sois gentil avec elle, elle a passé une sale nuit...

- Pas de problème inspecteur. Elle a fait quoi cette brave dame?

- Rien de bien méchant, elle a décalqué la gueule de son mari avec une poile à frire avant de l'achever avec une carabine. Ensuite elle a essayé de se suicider. Heureusement pour elle (ou pas), j'ai réussi à la convaincre de pas le faire...

- Oh.

Le p'tit Smith la regardait d'un autre oeil du coup. A ce moment là, elle s'arrête enfin de baragouiner. Parce que wai, elle avait pas arrêté depuis la voiture, elle avait juste baissé d'un ton. Enfin bref, elle se tourne vers moi une dernière fois, et porte ses mains à mon visage. J'vous jure, si elle approche sa bouche pour...

- Vous êtes un ange... qu'elle me dit avec son accent hispanique à la con. Me suis retenu de pouffer.

- Euh wai, c'est ça... Maintenant vous pouvez suivre l'agent Smith, ça va aller...

Ce qu'il faut pas entendre... Enfin bon, au moins j'en avais fini avec elle. Smith me regarde une dernière fois, me salue de la tête, avant de regarder sa montre et de me regarder à nouveau, presque intrigué...

- Au fait, inspecteur Lake...

Nan, il va quand même pas...

- Vous seriez pas en avance aujourd'hui?

Il l'a fait ce con... J'vous dis pas le flash qui m'est venu. En fait si j'vous l'dis; me suis vu foutre un big foot dans la tronche de ce blondinet de merde, pour ensuite le prendre par la peau du cou jusqu'aux water et lui planter sa gueule de p'tit minet dans la cuvette, avant de tirer la chasse. Heureusement pour lui, c'était qu'un flash...

- Très drôle Smith...

J'insiste pas, je le plante là, je file à l'étage. Direction les water justement, où je m'enferme un petit moment. Je vérifie ma boîte de médocs, plus que deux pilules. Toute cette histoire m'a foutu une saloperie de migraine, mais les voix se tiennent tranquilles, pour le moment. Deux pilules pour encore trois jours, j'vais devoir faire sans, du moins j'vais essayer. J'sors des chiottes, direction mon bureau. Enfin, mon bureau... Le bout de mobilier que m'accorde gracieusement la belle ville de Depra. Une planche, quatre pieds et deux tiroirs. Et bien sûr, un siège plastique design façon ikéa, pour faire croire qu'il y a du budget derrière. Sur le bureau en question il y a des dossiers, un téléphone, un mug avec des bics dedans, des dossiers, une lampe, des dossiers, un vieil ordi datant des années youpi, encore des dossiers et... Une figurine. Non mais qu'est-ce que fout une figurine sur mon bureau? Vous savez ces saloperies de figurines qui ont une grosse tête montée sur ressort qui se balance au moindre mouvement? Ce genre de saloperie de figurine...

- Elle vous plaît?

Jenny, L'aide civile. Une fille qui bosse chez nous, mais qui est pas flic. Elle prend les appels pour notre brigade, les transmet ou note les messages, et autres conneries du même genre. j'crois qu'elle a flashé sur moi. Comme si j'avais besoin de ça...

- C'est Billy Wagner, le joueur des Mets. Je trouve qu'il vous ressemble beaucoup.

- Ah... Ben... Merci Jenny.

- Chouette! Je suis contente que ça vous plaise! J... J'y vais, je retourne bosser...

- C'est ça. A plus Jenny.

Jenny partie, je fais une rapide recherche sur google (si si, l'ordi a beau être vieux, il a le net. Encore heureux...). Je tape Billy Wagner, et je tombe sur la tronche du bonhomme. Il me ressemble même pas ce con. Je tapote un petit coup sur la tête de la figurine pour la faire bouger, me tourne en direction du bureau de Jenny, qui me fixe avec un grand sourire. J'me force pour lui rendre son sourire, et j'regarde à nouveau c'te fichue figurine. On dirait qu'elle se fout de ma gueule avec sa tronche qui se balance dans tous les sens. J'résiste pas, j'la choppe et la fout dans mon tiroir, là où j'la verrai pas. Si j'la laissais sur le bureau j'aurais fini par l'allumer avec mon beretta ou quelque chose dans le style. Dans le tiroir au moins elle me fera pas chier. Bien que j'suis sûr qu'elle continue de me narguer de son nouveau coin sombre c'te connerie de figurine. Enfin bref, 8h50, il est temps de tapper ce fichu rapport. Mais avant, une clope...

Un officier passe dans le couloir. Trop gros pour ce métier, éssoufflé après avoir remonté seulement une allée en courant.

"Inspecteur, on a besoin de vous dans la Bell Avenue, on a un meurtre et aucun inspecteur sur place! Je peux vous emmener, si vous voulez."

Y'a pas de justice. Y'a bien des autres inspecteurs, même des lieutenants, mais on sait pas où ils sont... ah si, y'en a deux qui sont entrés dans le bureau du commissaire, et ça, c'est pas forcément une bonne nouvelle pour eux.

Mon allumette agitait sa petite flamme sous ma clope, lorsque j'entendis les bruits de pas délicats et gracieux d'un agent en uniforme s'approchant. Je fit un pivot sur ma chaise pour voir l'individu en question, l'allumette toujours en train de griller au bout de mes doigts. C'était un espèce de bibendum en bleu, qui tentait tant bien que mal de reprendre son souffle, suite à un effort physique qui semblait colossal. Tel un pachyderme en fin de vie, le pauvre gars semblait avoir du mal. Je suivais ses mouvements respiratoires des yeux en espérant qu'il me fasse pas un arrêt, j'avais pas besoin de ça en plus. Il finit par reprendre assez de souffle pour s'exprimer, et me lâcha entre deux inspirations qu'un meurtre avait été commis sur Bell Avenue, et qu'il n'y avait pas d'inspecteur dispo à part... moi. Parce qu'il faut le préciser, si un inspecteur est présent au commissariat, ou plutôt à son bureau, ça veut dire qu'il est disponible. Il aura beau être en train de faire quelque chose de super important, si il est à son bureau, ça veut dire qu'il est dispo. Un peu comme le système des loupiotes des taxis, mais sans les loupiotes. Après un léger soupir amusé de ma part, mes yeux se reposent sur mon allumette. Cette petite salope allait me griller les doigts d'une seconde à l'autre, me suis donc empressé d'enfin allumer ma clope, ce que j'aurais du faire depuis un bout de temps déjà. J'ai jeté un regard vers mon écran après une expiration de fumée, le traitement texte affichant une belle page blanche. J'avais pas encore commencé ce fichu rapport que j'étais déjà sur une autre affaire. Bell Avenue hein... J'avais beau creuser, pas moyen de me souvenir comment m'y rendre. Heureusement pour moi, ce cher bibendum proposa de m'y conduire. Si c'était pas gentil ça. Après tout c'est tellement plus pratique de conduire un inspecteur en voiture sur les lieux d'un crime que de perdre des calories à courser des voleurs de sacs à main, des dealers amateurs ou que sais-je encore, hein gras-double? Après tout c'est vrai, il avait rien d'autre à foutre, Depra est une ville tellement calme...
Bref, vu qu'il semblait y gagner dans l'histoire et moi aussi, pourquoi pas. J'ai coupé l'ordi, décollé de mon siège et enfilé ma veste.

- Eh bien allons-y, j'vous suis...

Il est donc près de 9h du mat, j'ai toujours pas tapé mon rapport et je suis sur une nouvelle affaire... Ah oui, et j'ai pas dormi aussi. Une journée classique quoi...

Le fllic sourit, parce que ça l'aurait bien fait chier de devoir aller chercher quelqu'un d'autre.

Il emméne donc l'inspecteur Lake au garage souterrain du commissariat - par l'ascenceur, il serait capable de faire un arrêt cardiaque dans l'escalier puis monte dans une patrouilleuse - le paquet de beignets sur le tableau de bord laisse supposer que c'est presque sa propriété.

Il démarre tranquillement et sort du parking comme une fleur puis une fois dehors balance sirènes et girophares et se tappe une accélération. Direction la scène du crime.

direction la scène du crime